La Page Connaissances du Laos ( La Jeunesse Lao )


La jeunesse lao de France, quelle identité ?

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Avertissement :

Ce qui suit n’est pas le résultat d’une enquête, ni d’une quelconque étude sociologique faite sur la jeunesse laotienne de France. Ce n’est qu’une réflexion personnelle d’un père de famille, immigré laotien, ayant quitté son pays natal encore très jeune et résidant en France depuis une trentaine d’années. Ni sociologue, ni diplômé en sciences humaines mais de formation supérieure en informatique, l’auteur ne prétend ni détenir la vérité, ni posséder une solution à proposer, loin de là. Il pose juste un regard personnel sur la jeunesse laotienne en France. Sa réflexion est basée essentiellement sur les observations et discussions avec les jeunes de son entourage et surtout avec ses propres enfants. Ne cherchant ni la provocation, ni l’indignement, mais uniquement à apporter une critique constructive. Si involontairement, quelques propos peuvent contrarier ou choquer la sensibilité de certains, il s’en excuse par avance. En apportant ce témoignage, il espère que ces quelques lignes serviront de point de départ à un vrai débat sur le devenir de notre identité laotienne à tous !

Les jeunes laotiens, qui sont-ils ? Toute personne née en France (ou née au Laos et partie jeune), dont l’un des parents est d’origine laotienne.

La jeunesse et leur « laotienneté » :

On constate que les jeunes laotiens, en général, bien qu’ils se sentent au fond d’eux-mêmes lao, n’ont pas de réelle conviction. Même si quelques uns (que je félicite ici par la même occasion), s’impliquent lors des quelques manifestations culturelles, ils le font par affinité ou par respect pour leurs aînés. Pour la majorité d’entre eux, ils sont peu intéressés, voire pas du tout concernés. Malgré les efforts effectués par les quelques associations auprès de nos jeunes, ces derniers ne maîtrisent pas toujours très bien leur langue maternelle, connaissement mal l’histoire du Laos, ignorent la plupart des traditions et ne sont pas souvent sensibles aux charmes de la musique laotienne. Toutes ces observations se vérifient par leur absence chronique dans la vie sociale, culturelle et associative de la communauté laotienne en général, même si de plus en plus de jeunes prennent plaisir à manger laotien et à participer à différentes fêtes et manifestations laotiennes.

Alors comment expliquer ce manque de motivation ? Cette défaillance n’est-elle pas le résultat logique des innombrables facteurs environnementaux, hélas souvent indépendants de notre volonté ?

Manque de motivation, les raisons possibles :

Pour commencer, outre l’éloignement géographique avec le pays d’origine, on peut déplorer le manque d’intérêt porté par ce dernier, à la jeunesse de sa diaspora. Pendant longtemps, jusque dans les années 90 voire plus tard, le Laos était resté hermétique à tout contact extérieur. Même si le pays s’ouvre peu à peu au tourisme, contrairement à la plupart des pays comme la Tunisie, le Canada, les USA, l’Israël, et les autres (où l’on propose la double nationalité), la RDP Lao n’a jamais cherché à séduire ni à réintégrer ses compatriotes, y compris les jeunes. Le peu de contact avec le pays, s’il y en a, est purement commercial. Peu de parents peuvent prétendre passer, en compagnie de leurs enfants, toutes les vacances d’été au Laos. Dans le meilleur des cas, suivant les moyens de chacun, peut-être une fois tous les 4 ou 5 ans. Certains jeunes lao, nés en France, n’ont même jamais mis leurs pieds sur le sol laotien. Alors, leur parler de l’identité laotienne relève du domaine de l’abstrait !

Les laotiens, naturellement gentils et intègres, n’ont pas de vrai désir de vivre en communauté même s’ils éprouvent le plaisir de se retrouver de temps en temps lors des fêtes. Contrairement à la communauté chinoise, par exemple, ils ne se regroupent pas en communauté pour vivre ni pour travailler, comme on peut le voir à travers certains quartiers chinois comme ceux de Belleville et de Paris 13ème. La plupart du temps salariés, cadres ou techniciens, les laotiens préfèrent vivre dans la discrétion, éparpillés, intégrés dans la masse de la population française. Leur assimilation ou intégration (dans un sens bénéfique et positif), dans la société d’accueil est tout à fait logique d’après les lois de la survie ou de la sélection naturelle. Par instinct d’adaptation et par mimétisme, un animal (et à fortiori un être humain) finit toujours par s’identifier et à s’adapter à son milieu, à sa niche écologique, sinon il disparaît.

De même que leurs parents (eux-mêmes partis jeunes du pays), devaient d’abord s’adapter pour leur survie. Pendant plusieurs décennies, trop préoccupés par les soucis matérialistes, sans projet bien défini, ces laotiens d'europe n’avaient pas vraiment cherché à transmettre à leurs enfants leur identité lao. Eux-mêmes déracinés et désorientés, ils cherchaient plutôt à s'intégrer dans leur nouvel environnement. Par peur que trop d'identité lao puisse être un frein à l'intégration, les valeurs républicaines du pays d'accueil sont enseignées aux enfants et celles du pays d'origine mises en sommeil. Pour toutes ces raisons évoquées ci-dessus, les jeunes lao de la deuxième génération ne revendiquent pas forcément leur appartenance à notre communauté.

Besoin de l'identité laotienne ?

Toute personne a forcément besoin de savoir d’où il vient, connaître ses origines, son histoire, son passé. Pour se diriger dans le futur, on a parfois besoin de s’appuyer sur les repères du passé. Dans la société actuelle, où la forte personnalité de la personne est de mise, et où il faut parfois s’affirmer pour exister, la connaissance de soi-même et de ses origines me paraît indispensable. Sans compter le plaisir de se retrouver et de partager nos valeurs (cuisine, langue, musique, danse, traditions, culture, religion, philosophie de la vie, …) avec les gens ayant les mêmes affinités, les mêmes sensibilités, le même passé et une histoire commune.

Par où commencer ?

Il serait prématuré et inutile de leur parler « laotienneté » si les jeunes ne se sentent pas concernés. D’abord il faut faire naître chez eux un sentiment d’appartenance à la communauté. Une certaine forme de complicité entre nous. On ne se sent appartenir à un clan, une tribu ou à une communauté que si l’on s’y sent bien et que l’on s’y plaît à partager des choses. Sans cette complicité, une forte amitié, le simple plaisir de se retrouver et le sentiment d’avoir quelque chose en commun, le sens de l’identité laotienne ne sera qu’un vain mot.

Quelques solutions à expérimenter :

Créer des évènements, provoquer des opportunités diverses pour que la jeunesse laotienne puisse se rencontrer le plus souvent possible. Tout d’abord dans le cercle familial, puis dans le milieu amical, et enfin dans le cadre des associations et pourquoi pas plus loin. Organiser des rencontres ludiques entre jeunes : sport, danse, pique-nique, boom … Attirer leur attention, les motiver, les inciter à participer aux manifestations qui leur sont dédiées, qui les mettent en valeur, qui les placent au premier plan dans la vie communautaire. On peut, par exemple, organiser une distribution annuelle des « prix de mérite »: meilleur élève de l’année, meilleur sportif de l’année, meilleur artiste de l'année, le (la) jeune lao de l’année ?

Pour gagner leur confiance, il faut leur apporter des preuves et des réalisations concrètes. Par exemple, en les aidant à régler leurs soucis quotidiens tels que l’aide dans les études (soutien scolaire, aide à l’orientation, aide pour la rédaction de CV ou lettres de motivation, et surtout la recherche de stage et d’emploi), dans les recherches de logement, etc. Monter et gérer, au sein de chaque association (pour commencer), une cellule pour collecter, centraliser et diffuser efficacement ces informations de soutien.

Une conclusion sommaire en attendant vos réactions :

« Quand on est jeune, le seul besoin d’identité qu’on ait c’est par rapport aux copains. C’est en grandissant que ce besoin d’identité et de connaître ses racines se fera sentir. L’adhésion des jeunes aux valeurs lao se fera d’elle-même, naturellement. C’est juste une question de temps et de maturité. Alors chaque chose en son temps, laissons les grandir un peu …», m’avaient confié avec optimisme, certains jeunes de mon entourage.

Finalement, l'intégration de nos jeunes dans la vie communautaire dépend essentiellement de notre attention, de l'importance qu'on leur donne, de nos efforts continuels et permanents pour les aider, les solliciter, se rapprocher d'eux chaque jour d’avantage. Trente ans déjà, n'est ce pas notre dernière chance de créer la relève pour perpétuer nos valeurs, notre identité ? Pour qu'on puisse dans quelques années, lorsque nos vieux artistes musiciens seront fatigués, pouvoir encore chanter laotien et danser le "Lam Vong". De toute évidence, le devenir notre identité lao ne dépendra finalement que sur la réactivité et la bonne volonté de nos jeunes.

Sincèrement, Janvier 2005,
Sayasack Phounpadith
(sayasackp@free.fr)

Réponse 1: Phayboun

Sabaydi Amis Luang-Prabanais,

J'ai reçu le bulletin d'information ce week-end et j'aimerai apporter mes points de vue à l'article de Sayasack. D'abord je remercie toute l'équipe de la rédaction d'avoir fait un bon travail d'information. Je pense que le bulletin est un moyen de communication indispensable. Plus on en parle, plus on communique avec tous les moyens disponibles (y compris Internet), plus on noue notre lien d'amitié et d'entente mutuelle. Dans le monde actuel, il vaut mieux avoir plus d'infos que pas d'infos.

Concernant l'article sur la jeunesse laotienne de Sayasack, voici mes points de vue:
je salue son courage, parce que chez les lao, ceux qui écrivent ou qui expriment de nouvelles idées subissent toujours des critiques. Je dis bien des critiques et non des encouragements. C'est pour cette raison que l'on ne voit pas des écrivains lao. Pourtant nous, laotiens, on n'est pas plus nul que d'autres peuples, n'est-ce pas ? L'article est bien écrit, facile à comprendre. Les idées sont clairement exprimées. Je ne savais pas que tu as des talents cachés. Ce n'est pas parce qu'on est ami qu'on balance des fleurs, c'est sincère. Je pense que tu les as préparés depuis longtemps. Chapeau ! (en passant j'adore le poème de Mothana )

Concernant le sujet proprement dit, "la jeunesse laotienne en France", c'est un sujet vaste et complexe. Cela mérite d'être débattu. Je pense qu'il n'y a pas le feu au lac. En général nos jeunes s'en sortent plutôt bien, peut-être pas comme ce que nous avons espéré. Constat à ma connaissance, selon les informations officielles (radio, journaux et TV, etc...):
1. On n'a jamais entendu parlé les jeunes d'origine lao en prison ou en grand banditisme.
2. On n'a jamais entendu parlé les jeunes lao se suicider.
3. On n'a jamais entendu parlé les jeunes lao toxicomanes ou mendiants.
4. On n'a jamais entendu parlé de phénomène des bandes.
Par contre, on ne voit pas encore de jeunes lao nommés aux postes de dirigeants des grandes entreprises (ou dans les fonctions importantes d'état). Ni écrivains, ni savants, ni poètes, ni acteurs, ni grands chanteurs. C'est là que tu as raison. Trente ans, il est temps qu'on pose sérieusement les questions sur la jeunesse lao. Je suis à 100 % d'accord avec toi.

Questions 1 : Est-ce que c'est le moment de mettre ce sujet sur la table et on en discute ?
La réponse, c'est oui. Je m'explique. Au jour d'aujourd'hui, les associations lao (y compris la nôtre) ont bien joué leur rôle social, pour nos anciens et pour nous-mêmes ( la génération de ceux qui sont nés au Laos, y ont quitté de gré ou de force, pour venir s'installer en France). De l'entraide mutuelle, cérémonies funéraires, pagodes, fête religieuses ou traditionnelles, soirées etc.. se font dans le but de servir l'intérêt de ces gens. Je rends hommage à toutes ces personnes dévouées, bénévoles et pleines de bonne volonté, qui consacrent leurs temps et leurs moyens aux intérêts de notre communauté. Ces tâches sociales sont accomplies dans leur majorité. Même si et c'est tout à fait normal qu'il y a encore quelques lacunes comme les problèmes rencontrés avec certaines pagodes ...

Question No 2 : Est-ce que l'association veut prendre cette tâche comme action prioritaire ?

Ma réponse est Oui. Il faut savoir que c'est un sujet complexe, donc il faut mettre des moyens tant humains que budgétaires.Créer un groupe de travail, réfléchir aux actions à mener en concertation avec des jeunes. Qui sont des volontaires ? Il faut au moins quelques jeunes !

Bien sûr, tout cela n'est que mes opinions personnelles. Je propose à tout le monde, au moins ceux qui sont sur cette liste, de s'exprimer sur ces 2 questions ( minimum par Oui / Non ).

Hakphèng. Février 2005,
Phayboun Phitthayaphone
(PHITTHA@fr.ibm.com)

Réponse 2: Vansy

" Un autre point de vue d'une maman laotienne en France "

Chers ai Phayboun et ai Sayasack,

J’ai lu avec intérêt vos réflexions sur notre jeunesse lao.

Compte tenu que le dialogue est ouvert, je viens donc vous rejoindre pour vous donner mon point de vue sur la question soulevée.

Ai Sayasack a développé longuement le sujet et ses interrogations suivies de ses réponses personnelles témoignent des inquiétudes que des parents lao éprouvent vis-à-vis de la pérennité de leur identité de laos exilés en France.

Ainsi, retiendrai-je sa conclusion, issue apparemment des dires de certains jeunes interrogés.
Si tout ce qui a été dit devait se résumer à une simple phrase, ce serait celle-là qu’il conviendrait que nous, les parents, prenions comme référence.

Pourquoi avons-nous tant besoin que notre identité lao soit un sentiment entièrement partagé par nos enfants et la génération future ?
Ce serait une bonne chose de commencer par analyser cette focalisation qui est propre à nous et me semble-t-il nullement de la préoccupation de nos enfants, à en croire les propos de ai Sayasack.

C’était vers les années 70, qu’une masse de laos sont arrivés en France au titre de réfugiés ou d’étudiants envoyés par leurs parents avant de laisser ce dernier statut pour celui des apatrides. Agés en moyenne d’une vingtaine d’années et trente maximum, nous étions tous des jeunes livrés alors à nous même.
Ainsi, notre avenir entier était dans nos mains sans l’aide de personne. Ceux qui pensaient à leur vie matérielle, et c’était bien une nécessité première sans conteste, se mettaient tout de suite à la recherche d’un travail. N’importe quel boulot pouvait faire l’affaire dès l’instant où il était honnête.
Et, ceux qui avaient un peu plus de chance car hébergés par une famille en France, pouvaient penser aux études en dépit des difficultés financières que ce choix pouvaient entraîner. Ceux-là pensaient à l’investissement durable au profit d’un avenir meilleur et au dépens d’une sortie rapide des impasses financières.

Devant toutes ces préoccupations de la vie d’exilés en France, ces pionniers que nous étions devaient aussi se compenser en créant des rencontres diverses. Une façon de resserrer les liens et de ne pas se noyer dans la masse de gens nouveaux et inconnus. Ainsi, ils coulèrent des jours pénibles dans un esprit d’entraide morale loin de leur pays.

Nous avons vécu pour cela dans la simplicité de l’amitié et la joie fut immense à chaque fois que fortuitement, une connaissance apparut devant nous sur le quai d’une station de métro ou dans une fête. C’est cela que notre inconscient a conservé dans notre mémoire profonde, car grâce à cela que nous avons survécu à notre exil.

C’est finalement ce traumatisme que nous n’avons pas su voir, car il est souvent camouflé par les joies que nous ont procuré nos rencontres et par notre façon d’exporter notre mode de vie ici.
Dire maintenant à nos propres enfants de considérer la chose comme nous l’avons fait, c’est ne pas prendre en compte le contexte différent qui est le leur. Eux qui ont vu le jour ici, dans un pays qui sera désormais une partie d’eux même comme c’est le cas de toutes les jeunesses issues de l’immigration en France.

Rappelons-nous qu’ils sont nés sous une double identité, celle de leurs ancêtres représentés par leurs parents et celle du pays d’accueil qu’est la France. C’est une chose innée que nul ne pourra leur enlever, même pas nous leurs parents.

Notre devoir de parents responsables sera désormais, celui d’avoir une vision plus large que celle que nous avions eue pour nos propres sorts jadis.

Il ne sera jamais possible de comparer ce que nous ressentons vis-à-vis de notre identité à ce qu’un enfant lao né en France devrait ressentir vis-à-vis de son identité à lui.
Un enfant né en France ou dans n’importe quel pays du monde, qu’il soit lao ou maghrébin ou africain a besoin d’abord d’être comme tous les enfants qui l’entourent. Marquer sa différence, c’est le marginaliser.

L’intégration est ce que nous avons vécue et ce terme ne s’appliquera plus à nos enfants, car ils n’ont pas besoin de s’intégrer étant un sujet faisant partie intégrante de la société dans laquelle il vit. C’est ce que la jeunesse actuelle revendique avant tout, d’être traitée en égal avec les autres sujets du pays.

Le melting pot est ainsi défini, et cela y va de l’avenir de nos enfants.

Ce que nous, parents lao, devrons leur inculquer est la valeur et la richesse de leur patrimoine, celui d’avoir une histoire à raconter. L’histoire de leurs racines qui les imprégnera un jour sans que nous ayons à nous inquiéter outre mesure. Pour cela, il importe que nous sachions leur faire apprécier l’histoire de leur famille lointaine. L’histoire de leur grand-père ou la vie de leur grand’mère etc. Nous aurons tant de chose à leur raconter.

C’est par les récits que nous ferons naturellement lors des discussions en famille ou en particulier, que nous arriverons à leur faire prendre conscience qu’il a existé dans leur famille des parents qu’ils ne devraient oublier. C’est ainsi que nous sèmerons des souvenirs dans leurs cœurs et que les fleurs qui y germeront perpétueront nos souvenirs communs.

Combien de parents lao auront aussi à se reprocher de n’avoir pas su se cultiver eux même pour pouvoir bénéficier de ces moments privilégiés de partage avec leurs propres enfants. Il ne suffisait pas de nous rassembler autour d’une tablée pour un repas traditionnel et danser le lamvong. Il faudrait aussi que nos intérêts aillent au-delà de nos us et coutumes pour ne pas nous enclaver dans un Laotown ou dans une association à buts définis.

Pour dialoguer avec nos enfants, il nous faudrait aussi pouvoir parler leur langage car nous ne devrons pas oublier qu’ils sont nés en France. Je ne blâme pas ceux qui n’ont pas le moyen de se cultiver en allant poursuivre les études, mais le fait de s’informer des actualités et de tant d’autres choses de la vie d’ici permet déjà de nous évoluer. Or, il est souvent vrai que nombre d’entre nous se contentent de vivre au jour le jour et bien des années après, ils sont restés les mêmes sans une once de savoir et de culture digne d’un pays où les informations sont accessibles. Ainsi Femmes comme hommes ne paraissent pas éprouver le besoin de s’élever dans le savoir.
Dans ces conditions, comment pourrons-nous exiger de nos enfants ce que nous n’avons pas su faire nous même ?
Je souligne encore une fois, qu’il est primordial pour leur épanouissement et pour leur avenir en tant que citoyens français, de les laisser vivre leur double identité pour qu’ils puissent ensuite envisager un regard sur leurs racines. Ceci ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire pour les stimuler ou les préparer à cette deuxième étape. Comme je l’ai exposé précédemment, tout est dialogue et histoires que nous devons raconter des jours et des ans pour qu’ils entendent et s’y imprègnent naturellement.

Quant à la langue lao, c’est sans doute un problème pour nos enfants. L’idéal est d’avoir dans la cellule familiale des anciens qui leur parlent uniquement lao pour que la langue soit naturellement là aussi pratiquée dès l’enfance.
Les obliger à ne parler que le lao serait une erreur, car il faut aussi penser à leur scolarité qui se fait en français. Le lao étant une langue peu difficile sauf pour les sons, nos enfants n’auront pas trop de mal à s’y mettre plus tard. Ce qui compte, c’est la culture qu’il faut qu’ils aient dans leur mémoire.

Mon point de vue est d’opérer une analyse de nous-même déjà avant de nous dire ce que nous souhaitons de nos générations futures.
Ayons déjà dans l’esprit que nous sommes d’une communauté encore jeune en comparaison avec d’autres implantées beaucoup plus longtemps avant nous. Et nous savons tous, que certaines communautés en ont encore à se démêler de leurs jeunesses qui souffrent du mal-être de cette double identité qui les déchire et qu’ils ne parviennent pas à gérer.

Il conviendrait aussi de nous abstenir de nous féliciter d’être des personnes sérieuses et des délinquants et voyous sont les autres. C’est cela le début du racisme.
J’ai eu à répondre souvent à des remarques très sympathiques de certains amis français me disant que, nous les asiatiques nous sommes mieux que d’autres immigrés. Ma réponse est constante : « il y a aussi chez nous des délinquants comme il y a des bons chez les autres qui sont mis à l’index ». Et, puis c’est ridicule de nous dire que nous sommes mieux, car ne sommes-nous pas aussi immigrés que ceux qui sont souvent incriminés ? Il faudrait que nous puissions dépasser ce sentiment de suffisance pour marquer notre solidarité et notre simplicité à chaque fois qu’on nous fait des compliments comparés.

Alors, la génération de nos enfants ? Je suis assez confiante, car je pense à la mémoire de chacun d’entre nous. Cette mémoire peut rester enfouie dans un être jusqu’au jour où il éprouve le besoin de la mettre à jour. Notre travail est donc celui de leur permettre d’enregistrer cette mémoire. Et, nos rencontres, nos activités cultuels ou culturelles y participent, même si cela peut nous sembler sans effet dans l’immédiat.

Avoir un jour un lao dans une fonction importante ou au devant de la scène, c’est possible si nous y contribuons en tant que parents. Il nous appartient de leur donner exemple par nos sens du dialogue, du partage et de la tolérance. Retenons aussi que nous leur donnons exemple en nous intéressant à autre chose que nos culture et mœurs.

Il me paraît inutile de créer une cellule pour leur venir en aide en matière de rédaction de CV ou d’aide à la scolarité, en ce sens que leur aptitude dépasse souvent la nôtre. Vous remarquerez leur facilité dans l’assimilation de la technologie de notre temps et constaterez (sauf exception) qu’ils n’ont nul besoin de nous, si ce n’est l’inverse.
Un exemple : il y a encore deux ans, lorsque mon fils âgé maintenant de 16 ans me voyait préparer une feuille excel avec des formules conditionnelles pour automatiser certaines tâches de calcul ou d’affichage, il était admiratif.
Maintenant, c’est lui qui me donne des cours de visual basic pour ne plus recourir à mes formules conditionnelles ! et je ne parlerai pas d’autres aptitudes naturelles dont disposent nos enfants, dès lors que nous leur offrons des outils modernes de travail pour leurs études.

Moi-même, malgré l’apparence de femme occidentalisée s’exprimant naturellement en Français, je reste très attachée à la culture lao. Je suis ainsi, à peu près la dernière de mon âge à porter encore la jupe imprimé en batik (sinh tem) à la maison. Je portais tous mes enfants sur le dos comme du temps de nos mères au pays, et je conserve toujours cette toile solide qui servait à porter mes enfants il y a plus de vingt ans.

Mon mot de la fin sera celui de nous dire à nous tous, les laos, et ce qu’ils soient d’origine viêtnamienne ou chinoise ou autres, de nous accepter les uns les autres et d’accepter nos différences. Que cette différence soit du fait d’être bien né, ou de la place de chacun dans la société lao au pays, c’est cette différence qui nous permettra d’avancer intelligemment vers un avenir de fraternité et de solidarité.

Comme disait justement, ai Phayboun, que les laos ont du mal à s’entendre sans se critiquer continuellement. Cela se voit dans des associations y compris celles qui sont formées autour des édifices religieux.

Je pense que tout ceci est dû à l’absence de sa crifice que chacun de nous doit dès lors qu’il offre son temps à une cause commune. Ce sacrifice est d’autant plus important pour nous, que nous participions à l’avenir de nos enfants et de notre communauté.
C’est la jalousie, l’envie d’être le meilleur qui dominent. Comment, dans ce cas pouvoir nous élever dans nos pensées, lorsque nos actes sont fondamentalement inverses ?

La philosophie bouddhique est pourtant une occasion idéale pour nous permettre d’atteindre cette sagesse qui fait défaut. Nous avons comme habitude de réciter nos prières et de nous mettre en blanc ou en jaune safran pour suivre les rituels de la religion populaire, sans souvent nous imprégner d’un réel et profond devoir de dépasser la vie terrestre. Le bien et le mal s’arrêtent à la pratique de telle ou telle action dictée par la religion.

La recherche de cette plénitude à laquelle nous devons tous nous appliquer, doit aller au-delà de toutes ces cérémoniales. Souvenons-nous que le principal enseignement du bouddhisme est le détachement. De tous nos envies et désirs, pour voir en nos épreuves de la vie un cycle naturel des simples mortels.

Il ne sera jamais inutile de s’interroger sur soi-même comme pour tant d’autres sujets qui nous préoccupent. Et, ceux qui viennent s’asseoir autour de la table pour y émettre un avis, même contraire, ne doit pas être perçu comme un adversaire ou un faiseur de troubles. Car, quel intérêt pour une assemblée que de se limiter à une discussion sans débats ? Chacun doit par ces débats, démontrer son sens de la diplomatie et d’écoute, exercice quelquefois ardu mais louable.

Hackphèng,
vansy

Réponse 3: Khambay

Réflexion sur la laotienneté

C’est l’envie de mieux connaître mon pays natal qui m’emmène à visiter le site de Sayasack où une rubrique sur la jeunesse lao de France m’a interpellé. Je l’ai lue avec une grande attention. Les points de vue des deux intervenants Phayboun et Vansy sont de très grande qualité. Avant de donner mon opinion, je voudrais inviter les internautes à venir nombreux sur ce site s’exprimer et se mobiliser pour cette cause commune. Je tiens aussi au passage à féliciter l’auteur du site Sayasack pour avoir eu l’idée de soulever cette réflexion qui je l’espère débouchera sur quelque chose de concret : d’abord rassembler les hommes et les femmes avec des idées diverses puis nous retrouver physiquement ou virtuellement sur ce site.

À la manière de Sayasack et en simple qualité de père de famille ni spécialiste en communication ni expert en sociologie je porterai mon regard sur nos comportements et dessinerai une perspective sur le devenir de l’identité lao.

La jeune génération lao traverse t-elle une crise d’identité ou est elle à la recherche d’un point de repère ? Si l’on en croit certain média selon lequel nos jeunes lao ne revendiqueraient plus leur appartenance à la communauté, détourneraient de la croyance religieuse de leur foyer familial pour visiter d’autre horizon comme on peut lire dans le forum des jeunes sur ce site http://www.laofr.net/ et sembleraient remettre en cause notre flegmatisme légendaire "Bo Pen Gnang". A cette information, nous tous, en qualité de parents responsables, nous sommes en droit d’abord de se poser des questions sur le pourquoi et le comment de cet événement. Est-ce une crise passagère due à l’insouciance de nos jeunes enfants ? Ou n’est-ce pas l’ensemble de notre vie communautaire qui traverserait une crise majeure ?.

La première hypothèse de cette crise identitaire de notre jeunesse pourrait être la suivante: Il appert que chacun de nous, les parents qui ont souffert du peu d’offre de formation dans leur pays d’origine, affichent une grande ambition familiale à travers leurs enfants en prenant, comme outil de promotion sociale par excellence, l'école. Pour satisfaire ainsi à cette ambition personnelle, certains d’entre nous, n’ont pas hésité à bâtir leurs rêves au prix des pressions sur leurs propres enfants. Lorsque la barre est fixée trop haut, l’échec est inéluctable; et faire vivre cela aux jeunes, entraîne des conflits débouchant quelquefois sur leur marginalisation. Dans ce cas la vision d’école comme outil d'élévation sociale est interprétée par les enfants comme un pur caprice des parents. Que pensent-ils des parents qui exigent d’eux d’atteindre l’objectif idéal pour satisfaire au besoin secret de se venger des frustrations du passé ? Il n’y a pas lieu de crier injustice, lorsque ce rêve n’est pas exaucé. Faire cela, au contraire, est injuste.

Deuxième hypothèse : par négligence ou par manque de maturité des parents qui n’ont pas su se préparer à la mutation sociale de notre jeunesse qui vit avec son temps. Nous sommes peut-être trop obnubilés par notre concept de valeurs traditionnelles que nous en arrivons à oublier de considérer le contexte dans lequel évoluent nos enfants. Ces valeurs qui représentent à nos yeux la perfection céleste, n’ont pas été transmises comme un enseignement. Nous avons oublié que dans notre jeunesse, nous aussi avons désiré et rêvé de tout de ce qui était étranger à notre tradition : nous aimions chanter le YéYé ou danser au rythme de la musique étrangère.

Il est aussi démontré selon Bergson que les facteurs qui entrent dans la formation de caractère et de la personnalité d’un être, viennent d’abord la famille, puis l’école et enfin les fréquentations.

Transmettre des messages à nos enfants avec une affinité égale à l’attente de nos aspirations sera une tâche difficile. Vansy a bien souligné l’embarras dans l’idée de les soustraire à cette culture hybride qui fait déjà une partie intégrante de leur univers. Alors nos inquiétudes bien que légitimes et nos aspirations vers la réussite aussi nobles soient elles, doivent s’inscrire dans le cadre de la nature à la manière des parents oiseaux qui, par instinct ou par devoir, apprennent à leurs oisillons à voler de leurs propres ailes ; et d’une maman lionne à leurs lionceaux à chasser par eux même pour vivre.

Troisième hypothèse : Pour analyser ce mal-être de nos enfants et la dérive de nos valeurs; il sera, selon moi, de faire une analyse de nous même pour essayer de voir comment nous, les parents, nous nous comportons devant cette double culture.

Pour garder un fil conducteur entre nos jeunes et leur origine nous n’avions pas su trouver et chercher des points d’intérêt par des dialogues pour leur inculquer notre concept de valeurs traditionnelles, en parlant de notre passé, bref en les intéressant à l’histoire de notre famille. Nous adultes nous avons passé trop de temps et d’énergie au profit des débats stériles sur nos divergences idéologiques totalement étrangères à leurs préoccupations quotidiennes. Force est de constater également que dans notre communauté, la vision d’une cohésion sociale n’est hélas conçue que par un discours d’intention avec des montagnes de mots, masquant une certaine hostilité à tout changement. Il est fort probable que, devant cette absence de cohérence au sein de notre communauté et devant les attitudes de certains parents de rester lao purs et durs, nos jeunes se trouvent fort désinvoltes et désorientés. Comme dans tout système de valeur, la sélection du bien et du mal se fait toujours par un processus de comparaison. Cette désertion de notre communauté de nos jeunes, n’est pas selon moi, synonyme de rupture avec l’identité lao, mais elle s’explique par un manque de repère et surtout par des désirs de découverte et de recherche d’un certain idéal que nous ne saurions leur proposer. C’est certainement ainsi dans toute la jeunesse du monde.

Par crainte de polémique je me garde de citer les exemples de dysfonctionnement dans notre vie communautaire tant qu’au niveau comportemental que moral. La diaspora lao fonctionne par petits groupes sans aucune vision collective; par opposition à celle des chinois où, un groupe mobilisateur se réunit tous les deux ans soit à Vancouver soit à Sydney. (Source Le Point N° spécial Chine). Il étudie et décide la stratégie commerciale et culturelle dont tous ses diasporas ont besoin pour leur bien-être. Appelons cela La politique d’immigration. Tandis que nous faisons de celle-ci un hobby ; toute la différence ! Que dire à propos de nos compagnons de malheur qui sont les vietnamiens. Regardez la liste des enfants de Boat people à l’école polytechnique à Paris. La plupart d’entre eux sont envoyés directement du Vietnam avec l’aide des bourses françaises (Source TV5 Juillet 2005). On trouve des maîtres de conférence de conférence à sciences Po, à la Sorbonne. En théologie ils ont des pasteurs représentés dans les colloques. A l’opposé nous avons nos vénérables (Achanes) vivant au crochet des fidèles dans des centres spacieux, mais tolérant certains à demander l’aumône devant les supermarchés. Certes cette scène n’a rien de choquant dans un pays bouddhiste comme le nôtre; mais dans celui d’une culture différente, elle ne portera certainement pas le même charme.

J’attire l’attention de tous les lecteurs pour écarter toute intention de ma part de me servir de ce manuscrit, comme un moyen de polémique. Mes constats sont constitués d’une observation et d’information que chacun puisse, s’il le désire, s’en inspirer dans la multiplicité de sources du monde libre.

Mais nous, les lao ne sont pas les peuples inintéressants ni plus nuls que les autres disaient nos deux intervenants Phayboun et Sayasack. J’en conviens ; mais comment faire quand on n’a ni repère ni projet ? Comment réveiller tous ces talents qui dorment ? Cette intervention a donc pour but de lancer un appel à ceux ou celles qui ont des idées à soumettre pour qu’ils se fassent connaître. Mais la seule démarche, la vraie qui soit pertinente, à mon sens, est celle qui consiste à briser les tabous, à persuader nos compatriotes surtout ceux qui, retranchés dans leur monde narcissique, n’ont pas vu que le monde a bien changé. Cela demande à chacun de nous, avant et par dessus tout, un effort d’honnêteté pour clarifier, expliquer et surtout pour impliquer pour démontrer que nous sommes capables d’aller au-delà de simples mots et de l’unité de façade. Il ne suffit pas de penser que l’idée d’imaginer et de concevoir est noble ; mais faire c.à.d mettre la main à la pâte est vil. Nous devrions apprendre à affronter le Réel car c’est par là que le bât blesse.

Quelles expériences à tenter ?

Laisser nos enfants à intérioriser d’eux mêmes les ambitions de réussite, et à s’interroger sur leur origine par leurs propres expériences. Tandis que les parents pourront, plutôt jouer le rôle d’assistance ou d’attraction que celui d’endoctrinement.

Dans les exemples de travail d’accompagnement de nos jeunes on peut privilégier l’écoute des centres associatifs, lieux de rencontre et de cérémonies diverses pour les mettre utilement à contribution de nos jeunes à la recherche de leur identité. Ce lien de Sayasack http://sayasackp.free.fr comme tant d’autre website serviront de moyen d’accès facile aux informations intéressant notre culture et notre pays. Ils permettront aussi à d’autres personnes détentrices des idées nouvelles à se faire connaître.

Nous pouvons aussi nous inspirer les événements d’actualité et les débattre avec nos enfants. Prenons la loi d’insertion que le gouvernement paraît de toutes les vertus n’est pas aussi avenante dans son application. Pour éviter que nos jeunes vivent le même syndrome d’exclusion que ceux de l‘immigration précédente à la notre, essayons d’étudier et chercher ensemble les causes intrinsèques de ces échecs. Pour cela nous nous profitons d’innombrable d’écrits disponibles pour approfondir le sujet d’une manière la plus exhaustive. L’initiative ne sera couronnée de succès que lorsque l’une et l’autre association de la communauté,comptant chacun sur ses propres moyens ou sur l’influence des personnes d’autorité ou pourquoi pas d’un parti politique influent, agissent de concert.

Le travail qui, au sein de la communauté lao en dehors de notre pays d’origine, consiste à accomplir des tâches simples mais cohérentes, consolidera nos liens. Au moment où toutes nos tentatives politiques d’approchement avec notre pays d’origine sont au point mort, cette unité d’action ouvrira certainement une autre perspective de réconciliation. Ceci est un autre débat, j’en profite pour demander à toute personne intéressée par cette idée de se manifester.

Mais une alternative ou un éveil d’orgueil de notre diaspora sont–ils possibles ? Pourrions-nous nous mobiliser pour une grande cause ? Comment transformer nos dissensions en force commune ? Aimerions-nous relever un défi afin de réhabiliter nos valeurs d’antan ? Aurions-nous l’audace d’accomplir tous ces actes salvateurs qui font la force des grandes nations ? Je termine mon texte par ces questions qui j’espère ne resteront pas sans réponse et en guise d’espoir et d’un au revoir je lance un appel à travers ce site, à tous les lao ou assimilés, intellectuels ou penseurs, ou tout simplement amoureux de leur origine à se joindre à nous pour raconter l’histoire … du Laos.

Nous formerons un groupe de réflexion, des observateurs des quatre coins du monde. Si débat il y a, il portera désormais sur notre responsabilité autant sur nos convictions pour notre identité lao. Ainsi l’histoire retiendra t-elle que nous existons bel et bien et quelles étaient nos préoccupations. Aussi, nous tous, petits et grands, pourrons vivre notre exil en parfaite harmonie avec notre entourage.

1er septembre 2005,
Khambay Thongpraseuth
( k.thongp@wanadoo.fr )

Réponse 4: Khamphanh

Bonjour à tous,

J’ai longuement lu vos interventions sur l’identité de la jeunesse Lao. J’aimerais apporter également mon grain de sel dans ce domaine important. J’apprécie beaucoup la modestie de chacun de vous sur ce thème sensible. Je vous dis un grand « bravo » pour vos analyses de hautes qualités. Puisque vous avez déjà fait « le tour du sujet », je vais essayer de partager ma façon de voir tout en restant simple et modeste comme père de famille Lao. Nous sommes bien d’accord que c’est simplement un débat d’idées.

Permettez-moi d’abord de « classer » de ce que nous appelons « diaspora Lao » en trois catégories – pour ne pas dire trois générations :

1- la génération des aînés,
2- la génération intermédiaire,
3- la nouvelle génération.

Vous avez fort bien compris que la nouvelle génération c’est la génération de nos « jeunes » nés en France ou hors de notre pays natal. La génération intermédiaire c’est « nous-mêmes » et la génération des aînés ce sont « nos parents ».

Je pense que nos aînés ont fait ce qu’ils ont pu pour s’insérer dans cette société nouvelle. Nous avons souvent, en tant que génération intermédiaire, participé activement avec eux dans diverses manifestations culturelles ou autres. Ces deux premières catégories ont beaucoup fait pour donner assise à la nouvelle génération. Les sociologues les appellent « la génération du sacrifice ». Ils ont – et souvent nous aussi – accepté le premier travail qui se pointe pour assurer nos bien-être matériels mais également sacrifié leur temps dans diverses associations communautaires, il est vrai, aussi bien religieuses que politiques. Sans leur jeter des fleurs, car il y a toujours des choses à dire et à redire, je crois qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu « pour nous » et pour leurs petits enfants. Je crois que les tâches reviennent maintenant entre nos mains. Le fait que nous nous posions autant de questions me rassure car cela signifie que nous avons ce « devoir » à cœur. Mais le fait de ne pas savoir comment s’y prendre m’interpelle un peu.

Nous sommes tous d’accord que la question de fond n’est même pas à se poser, à savoir si nous voulons transmettre nos cultures à nos enfants ou non. Si nous sommes d’éternels « dépaysés » cela veut dire que nous avons un amour profond pour notre pays d’origine. Psychiquement, philosophiquement et même physiquement nous nous sentons appartenir à cette terre de nos rêves. Oui, nos psychismes ont été « élaborés » au Laos ; nous raisonnons philosophiquement « bouddhiste » et, physiquement notre sang et nos fibres appartiennent à notre lointaine contrée.

C’est la question de forme qui nous préoccupe, à savoir comment et quelle est la meilleure façon de transmettre à la jeune génération cette « identité » qui nous habite. Elle est présente à tout moment, elle est précise mais difficile à saisir. Vous avez su si bien décrit le « décalage » entre nos parents et leurs petits enfants. Même s’ils s’aiment beaucoup, l’obstacle de langue « bloque » souvent un certains nombre de rapprochement et d’intimité entre eux. Les jeunes se résument souvent à assister et au mieux à les accompagner et c’est déjà beaucoup.

Ceci revient à dire que « nous », la génération intermédiaire, devons prendre la relève. Nous avons deux cultures : orientale et occidentale. Nous pouvons communiquer dans le langage des jeunes. Considérons que nous sommes privilégiés pour être imprégnés de telles richesses. Nous sommes dans la meilleure configuration possible pour assurer « le pont » entre ces générations. Une question banale se pose : Si cette responsabilité ne nous revient pas, qui va le faire ? Nous avons (encore) beaucoup de chance d’avoir quelques uns de nos aînés. Nous pouvons compter sur eux pour appuyer nos démarches et compléter nos connaissances.

Nos jeunes sont ce qu’ils sont. Nous ne pouvons pas leur en vouloir. D’ailleurs, sans pointer le doigt sur la société et sur l’environnement occidental de toutes sortes, pouvons-nous affirmer que nous n’y sommes pour rien dans leur situation quelque peu ambiguë ? Quel est notre part de responsabilité en tant que parents ? Nous voulons que nos enfants soient parmi les meilleurs. Nous voulons aussi qu’ils ont tout le nécessaire ainsi de suite. Consciemment ou inconsciemment, nous voulons aussi qu’ils maîtrisent notre langue ?, Qu’ils soient bouddhistes ? Qu’ils soient laotiens dans la tête et dans les comportements ? Bref, des surhommes, surqualifiés !

Le problème est bien là. La question à poser n’est pas : Que veulent les jeunes ? Mais que voulons-nous exactement en tant que parents ? Avons-nous agi en conséquence ?

Pour moi, la situation est donc « sérieuse » - pour nous les parents. D’une part nous sommes investis de la responsabilité de « transmission », d’autre part, nous ne devrons pas ni trop « bousculer » nos jeunes ni trop « lâcher » sous peine d’être « incompris » et de récolter par la suite un résultat inverse.

Sans rejeter les propositions des autres intervenants dans ce débat, je pense que Vansy a su se comporter d’une façon juste dans sa vie de mère de famille laotienne. La richesse de ce thème montre bien la complexité et l’importance de l’enjeu. Chercher une méthode unique, stéréotypée, cartésienne, standard, formelle à appliquer à nos enfants en matière identitaire serait d’une part trop facile et par ailleurs une erreur. Au risque de me répéter, je pense que le nœud du problème c’est nous : les parents. Si nous savons exactement où nous allons, nous saurons le dire d’une manière ou d’une autre à nos enfants.

A mon humble avis, la transmission d’une culture – plus exactement la « culture d’une identité » – ne peut se concevoir qu’à travers un laps de temps assez long. Cette culture doit se réaliser et se manifester au quotidien. La façon de vivre, la façon de penser et de se comporter selon nos traditions laotiennes ne s’apprennent pas en claquant les doigts surtout pour des jeunes nés à l’étranger.

Nous sommes bien placés pour savoir que nos jeunes côtoient – presque 24/24 – un autre monde culturel. Pour exemple, un jeune se lève par son radio réveil en musique techno ou du moins d’une station radio en langue française, il prend son petit déjeuner devant la télévision, va à l’école avec des copains et copines en prenant soins d’accrocher son MP3 au coup ainsi que son portable, passe la journée à l’école et rentre le soir pour se précipiter sur son ordinateur. Il se fera appeler 2 fois avant de venir prendre un rapide repas puis s’occupe à envoyer des SMS ou dialoguer via son PC. Bien entendu, j’exagère !

Toutefois, reconnaissons que beaucoup de famille sont confrontées à ce genre de situation. Le père travaille et rentre tard pour certains, d’autres rentrent plus tôt mais restent scotcher à son micro pour chanter en karaoké en ayant un verre d’apéritif à l’autre main. La mère travaille aussi et sitôt rentrée des courses, elle s’occupe de la cuisine. Toutes les familles n’ont pas cette image, heureusement !

Néanmoins la question suivante mérite d’être posée : Quand est-ce que nous prenons le temps nécessaire pour consacrer à nos jeunes ?

Au fil de ce raisonnement, il apparaît donc assez clair que NOUS devons d’abord commencer par nous-mêmes aussi bien dans notre discipline de vie en tant que cellule familiale que dans la recherche de notre propre culture. Disons-nous bien que la seule référence pour nos enfants c’est nous-mêmes ! Sommes-nous prêts ? Avouons que nous ne pouvons pas donner à nos enfants de ce que nous n’en avons pas. N’oubliez pas qu’ils sont quelque part « à notre image ».

Voici une histoire (vraie) toute simple pour illustrer mes propos ci-dessus.

Mon jeune neveu pose la question à son père : Papa, pourquoi au nouvel an laotien on s’asperge beaucoup d’eau ?

La réponse de son père : C’est parce qu’il fait très chaud chez nous !

La réponse n’est pas fausse mais largement insuffisante ! Cette réponse « à la va vite » dénote que le père, pour écarter des questions embarrassantes de son fils – parce qu’il est occupé à faire autre chose ou ne sait pas du tout répondre – préfère couper court. La curiosité culturelle du jeune est subitement refroidie. Non seulement il n’a pas la réponse correcte mais il réfléchira à plusieurs reprises avant de poser d’autres questions de cette nature à son père. Ce dernier manque ici une formidable occasion de raconter à son fil la légende liée à Nang SangKhane durant notre plus grande fête bouddhique Theravada. Il aurait pu aussi aborder notre principal fleuve le Mékong, nos mythes de nagas, la tradition des châteaux de sable (Phasai) sur les berges ou à la pagode, l’eau symbole vie, la Mousson, la culture du riz, l’eau emblème de purification, l’eau nourricière, etc. C’était une circonstance unique « perdue » pour sensibiliser le jeune à la culture laotienne.

J’essaye de partager avec vous que nous devons d’abord nous tenir prêts à tout moment pour répondre à nos enfants. Bien entendu (et je répète), ceci suppose que nous devons nous cultiver sur notre propre héritage : croyance, religion, tradition, origine, langue, histoire, géographie, économie, politique, etc.

Je ne doute pas que chacun de nous a sa propre façon de faire. Personnellement, au niveau familial (élargi) je ne manque pas l’occasion – sans trop insister – de mettre en valeur tout ce qui se rapporte à notre identité Lao. Une simple phrase ou une petite remarque suffit. Par la suite, si les jeunes sont « demandeurs » nous pouvons alors essayer de donner des explications. La finalité n’est pas exclusivement les explications eux-mêmes mais provoquer la curiosité, nouer le dialogue et faire naître en même temps un lien, une amitié, une compréhension, un sentiment d’appartenance, une complicité, etc.

Je suis parfaitement d’accord avec vous de créer chez ces jeunes une atmosphère de convivialité de fierté d’être d’origine Lao. Il faut certes les « laisser grandir » et vivre leur vie de jeunesse mais tenons nous à côté d’eux. Tout en restant ouvert, ne nous versons pas dans le sacro-saint ramasse-tout qui s’appelle Liberté. L’apparence décontractée, libre et à la mode de nos jeunes cachent souvent une insatisfaction et une souffrance. C’est parce qu’il en souffre que « il ou elle » multiplie des signes extérieurs pour rassembler le plus possible « aux autres ». Ce n’est pas parce que certains jeunes ont des « piercings », teintent leur chevelure en blond (ou se raser la tête comme Barthez), ont des baskets derniers cris… qu’ils sont parfaitement épanouis ! Au contraire… D’ailleurs, ils savent très bien qu’ils peuvent tout faire sauf changer morphologiquement leur physique, les couleurs de leurs yeux, la couleur de la peau et bien d’autres choses. Ils ont tout de « signe extérieur » mais ils n’ont « rien » ! C’est en ce moment là que l’Amour parentale peut tout arranger. C’est là aussi que notre « culture familiale » et notre « culture identitaire » peuvent surgir et éclairer leur chemin. A nous de voir et à nous de jouer.

Tenons-nous disposés à leur signaler que nous ne sommes pas un peuple « anonyme ». Pour prendre cette position, non seulement il faut s’y baigner nous même mais également savoir s’en défendre.

L’histoire de nos origines est de « hautes lignées » depuis des millénaires avant d’arriver à Anachack Nong Sè ou Nane Tchao puis une longue migration suivant la vallée des fleuves d’Indochine actuelle. La fondation de Muong Thène par Khun Boulom puis l’installation à Xieng Dong-Xieng Thong, etc. A la différence de certains peuples, malgré le harcèlement des Hans depuis le contrefort oriental du Tibet, nous avons notre propre culture et notre propre langue. Nos ancêtres ont su intelligemment adapté le Sanskrit et le Pali en langue Lao spécifique et non « copier » telle qu’elle. Nous avons lieu d’être fiers de ces héritages immatériels. Parlons leurs aussi que les Aï-Lao sont près de 30 millions à l’extérieur du Laos. Selon les derniers statistiques : 27 millions en Thaïlande, le reste à Sip Song Panna, Sip Song Chau Thaï, l’île Haïnan, au nord du Cambodge mais aussi à la frontière birmane. Il y a même les gens d’origine Lao dans certains Etats du Nord-est de l’Inde : Nagaland, Manipure que j’ai eu la chance de les rencontrer. Certains de leurs mots sont encore phonétiquement les mêmes que nous. Et puis… il y a NOUS, en France, aux Etats-Unis, en Australie pour la majorité. Peu d’entre nous savent qu’il y a aussi des laotiens en Afrique ! Parlons également de nos croyances, ni pure bouddhiste, ni hindouiste, ni animiste. Notre Soukhouane est une excellente symbiose parfaitement laotienne. Enfin pour les plus adulte nous pouvons aborder plus profondément les fondements de ces croyances au regard de notre structure sociale.

Quand nos jeunes auront une telle compréhension et une telle vision globale, ils se sentiront mieux et digne, moins isolés. Personnellement, je suis fier d’être Lao et mon devoir est de le « faire sentir » à mon entourage et dans la société où je vis. Je dis bien « faire sentir » et non faire savoir ou raconter comme dans un cours magistral. C’est ma façon de vivre et mes comportements susciteront l’envie d’être et de savoir chez les jeunes.

C’est ainsi que l’une de mes filles a choisi, il y a quelques années, un exposé sur le Laos. Nous avions beaucoup travaillé ensemble dans une ambiance parfaitement complice ! L’année dernière une autre de mes filles a choisi de présenter « La place du Laos dans l’ASEAN » ! L’exposé est certes important mais le travail qui l’y conduit l’est encore plus. Il s’agit non seulement de connaître le plus possible l’économie du Laos mais également les autres pays de l’ASEAN ainsi que les stratégies géo-politico-économiques de la région !

D’autres faits personnels que j’ai réalisé consiste à réunir les jeunes Lao ainsi que leurs copains et copines (jusqu’à 30 personnes) chez moi et de leur présenter le Laos sous tous les aspects. Nous nous enchaînons ensuite sur des questions réponses sans arrières pensées aucune. Au-delà de faire connaître le Laos, mes enfants ont eu l’occasion de montrer aux autres leur identité réelle : je suis française mais d’origine laotienne. D’autres rencontres informelles avec des amis français (adultes) concernent notre religion. Je ne prétends nullement remplacer nos Achane – qui sont d’ailleurs très occupés à une sorte de bouddhisme « cérémonial » qu’autre chose et soit dit en passant « inabordable » par nos jeunes – mais simplement expliquer l’histoire de notre religion et montrer mon appartenance à cette famille spirituelle à la laotienne.

Vous avez également parlé d’une sorte d’association d’encadrement, d’orientation et de promotion des jeunes notamment dans le domaine d’éducation et de formation. Je suis résolument pour ces actions à condition de le faire par étape. Il est clair qu’à un certain stade de formation – souvent brillante – les jeunes Lao semblent s’orienter vers soit une étude universitaire longue qui ne mène souvent nulle part, soit la filière courte qui aboutit à une profession plutôt de technicien spécialisé qu’autre chose. De ce constat nous pouvons déduire qu’il manque cruellement d’assistance et d’orientation adaptée. Pour certains parents le prétexte de dire « tu fais ce que tu veux, ce qui semble faisable pour toi ». Ce genre d’attitude met le jeune en désarroi. Résultat de la course, il choisit ce qui est le plus facile ou encore une branche dont ses capacités sont en deçà ou encore inadaptée au marché du travail.

Je reconnais que ce n’est pas une mince affaire. Pour orienter un jeune cela suppose aussi que nous maitrisons parfaitement le système et la situation en générale. Outre le système éducatif, les branches porteuses, il est primordial de connaître le jeune en question. C’est lui le centre de l’affaire ! Ceci suppose un suivi de sa scolarité et des rencontre-entretiens. Je propose d’abord de débuter doucement pour ce travail conséquent. Pour l’heure, rien ne justifie de prôner des actions « d’élitisme » style d’outre Atlantique ! S’il s’avère bénéfique pour certains, d’autres récolteront des sentiments de frustrations voire « d’exclusion ». Ceci dit, rien ne nous empêche de signaler discrètement les meilleurs d’entre eux. Nous pouvons mentionner : 20 jeunes Lao dans la filière « prépa », 50 dans les « universités », 100 dans les formations courtes de métiers. Nous pouvons aussi annoncer les résultats positifs : 1 sort de Polytechnique, 2 de Lena, 5 des écoles d’ingénieurs, 12 du Commerce International…

Les propositions de Phayboun pour une réponse par Oui ou Non semblent être un bon procédé pour clarifier un peu nos préoccupations. Mais je suppose qu’il parle au nom de l’association dont il est membre ? Par correction, je m’abstiens donc de m’immiscer ici. Je vais simplement me contenter de vous donner ma succincte conclusion suivante.

Dans la communauté laotienne nous sommes une génération intermédiaire. Contrairement à nos aînés dont certains ne maîtrisent pas la langue française, nous avons toutes les compétences et les moyens nécessaires pour nouer et faire valoir nos valeurs identitaires chez la jeune génération. Cette responsabilité nous revient et il nous appartient d’en discuter concrètement les modalités à mettre en place et à réaliser à la meilleure façon possible. Nous ne pouvons pas nous dérober à cette tâche à commencer par nous-mêmes dans notre façon de vivre au quotidien et de nous instruire sur nos propres origines. Nous ne sommes pas si bien lotis que cela. Souvent les questions des jeunes sont pertinentes et nous mettent maintes fois dans l’embarras. Avant même d’aller plus loin, nous devons nous persuader du bien fondé de nos aspirations, accroitre nos sens de responsabilité et surtout les sacrifices nécessaires. Dans un premier temps, nous pouvons tout au moins leur mettre à disposition des données essentielles pour qu’eux-mêmes puissent s’informer et pourquoi ne pas s’en servir. C’est à l’image d’une boîte à outils via les moyens à leur portée tels qu’Internet et forum de discussion. La question me passionne et je reste à l’écoute de vos idées et de vos avancements.

Mes sincères amitiés et bon courage.
Avril 2006,
Khamphanh Pravong
( kpravong@netcourrier.com )


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